MAUREGNY en HAYE et Les Cahiers d'Histoire

LE SIEGE DE REIMS EN 1359


 
CE 28 OCTOBRE 1359, SANDWICH, LE GRAND PORT ANGLAIS DU MOYEN-AGE, EST EN EFFERVESCENCE. TOUTE LA REGION DU KENT ET LES COTES DE LA MER DU NORD, JUSQU´A CANTERBURY, TRES PROCHE, GROUILLENT DE MILITAIRES, DE MATERIEL ET DE CONVOIS QUI COURENT VERS LES QUAIS D´EMBARQUEMENT. EDOUARD III VEUT EN FINIR AVEC LES FRANÇAIS ET UNE GUERRE QUI DURE DEPUIS VINGT ANS, DÉCIDE A CEINDRE, PAR LA FORCE, LA COURONNE DE FRANCE. OR, CHEZ NOUS, C´EST A REIMS QUE L´ON SACRE LES ROIS. ON IRA DONC A REIMS.
 
 
LES TROIS TORRENTS
 
Le 4 novembre 1359, Edouard III quitte Calais où il avait débarqué quelques jours plus tôt à la tête d´une flotte de onze cents navires. Il faut aller vite ; les Rémois sont depuis longtemps prévenus et organisent leur défense. L´armée est divisée en trois colonnes sous le commandement du roi lui-même, du prince de Galles et du duc de Lancastre. Retardée par la pluie, elle marche à la faible allure de douze kilomètres par jour, traînant dans la boue six à huit mille chariots attelés chacun de quatre forts chevaux, chargés de tentes, de pavillons, de moulins, de fours à pain et de forges. Il fallait tout prévoir et surtout, un ravitaillement difficile sur un pays exsangue. On transporte même des petits bateaux à fond plat montés par trois hommes pour pêcher dans les étangs. Les trois armées marchent à quatre kilomètres de distance, leur train s´échelonne sur huit kilomètres, encadré par cent mille hommes. Cinq cents sapeurs, armés de pelles et de haches ouvrent la voie. Quant au roi et plusieurs seigneurs de la suite, chassant en chemin pour améliorer l´ordinaire, ils chevauchent en compagnie de trente fauconniers et cent vingt couples de gros chiens et de lévriers : c´est du moins ce qu´affirme dans ses chroniques un témoin, Jean Froissart.
 
En fait, on sait maintenant que ces chiffres sont souvent exagérés et qu´il convient de les manipuler avec beaucoup de prudence. On sait aussi qu´il faut en extraire, dans une proportion plus modeste, le nombre des véritables combattants. On comptait trente-deux mille hommes au siège et à la prise de Calais en 1347, ce qui est considéré comme une exception. Quoi qu´il en soit, il y a quand même du monde - et du meilleur - sur la route de Reims, en cette triste fin d´année 1359. Selon l´une des méthodes de la stratégie anglaise, c´est une triple horde dévastatrice qui déferle au travers de l´Artois et de la Picardie, Edouard III par Saint-Omer, Arras, Cambrai, la Thiérache et Saint-Quentin, le prince de Galles par Montreuil, Hesdin, Nesle, Ham, Saint-Quentin et Château-Porcien et le duc de Lancastre entre les deux.
 
LES PREPARATIFS DE LA DEFENSE
 
Dès le 10 juillet 1359, le régent, fils de Jean II Le Bon prisonnier des Anglais, le futur Charles V, informe les Rémois des intentions de l´ennemi dont il connaît les mouvements et l´exceptionnelle "mobilisation". Le 20 octobre, la nouvelle est confirmée et l´objectif ennemi précisé. Les Rémois ne seront pas pris au dépourvu, d´autant qu´ils s´attendent depuis la défaite de Crécy en 1346 à faire les frais de la lutte sans merci que se livrent les rois de France et d´Angleterre pour leur héritage.
 
Dès le début de la guerre, en 1336, on a repris les travaux de fortification de la ville, commencés depuis 1209 et souvent interrompus. Il y a plus de six mille cinq cent mètres de murs à construire ou à renforcer avec leurs ouvrages de flanquement.
 
La prise de Calais, le 3 avril 1347, correspond à une nouvelle accélération des travaux. Mais l´armée anglaise, fatiguée par un siège interminable, ne poursuit pas son avantage et les Rémois en profitent. Tous les métiers sont mobilisés et fossiers, hottiers, scieurs de bois, charpentiers, tailleurs de pierre, maçons, charretiers, payés à la journée ou à la tâche se relaient sans arrêt sur les murs.
 
L´historien des Rémois du Moyen-Age, Pierre Desportes, a retrouvé les comptes des travaux et nous apprend qu´une demi-douzaine d´équipes, de sept à huit maçons chacune, travaillaient au mur d´enceinte, avec la charge d´un pan de muraille à édifier. La pierre vient d´Hermonville, Merfy et Brimont, la chaux de Crugny. Le bois est pris à Soulain, près de Brimont.
 
On travaille partout à la fois, aux ponts-levis, aux portes, aux herses. On barre le lit de la Vesle avec des sortes de râteliers car la ville n´est pas encore fermée le long de la Vesle. On garnit la place de vivres et de munitions, boulets de pierre, traits et flèches. De Paris, Rouen, Saint Quentin, le roi Philippe VI de Valois fait acheminer son artillerie , L´année 1347 aura vu s´acheminer le presque bouclage de l´enceinte urbaine. C´est alors que s´abat sur la Ville des Sacres la tristement célèbre Peste Noire. Elle ravagera le nord de l´Europe et tuera le quart de la population rémoise. Jusqu´en juin 1355 , ce sera la trêve forcée, du moins pour notre ville. Entre-temps, Philippe VI est mort. Jean II le remplace en 1350. Le 19 septembre 1356, c´est le désastre de Poitiers. L´armée française est détruite, le roi est prisonnier. Les Rémois, du moins ce qu´il en reste, de nouveau, se terrent. Ils reprennent les travaux de fortification. Le rempart ouest, le long de la Vesle, est achevé. Pendant ce temps, les paysans, surtaxés pour payer les rançons de leurs seigneurs prisonniers des Anglais, se révoltent : c´est la Jacquerie. Les bandes anglaises et les routiers - troupes organisées de soldats sans emploi, ni solde -, les Jacques et les chevaliers qui les traquent, les milices bourgeoises, battent la campagne, se pourchassant et se trucidant pour le grand malheur des quelques pacifistes qui tentent encore de s´accrocher à la vie, sinon aux biens de ce monde. Les Rémois se sentent isolés et se croient, de plus, trahis par leur archevêque, Jean de Craon, qui n´est pas "clair". On le soupçonne de vouloir livrer la ville aux Anglais. Se voyant menacé, l´archevêque va s´enfermer dans sa forteresse de Mouzon dans les Ardennes, laissant sa ville sans chef, ni gouverneur.
 
LES GRANDS REMEDES
 
Face à ce déluge de catastrophes, il est grand temps d´aviser. Tout d´abord, on s´empare du château Porte Mars, la forteresse rémoise de l´archevêque, situé à l´emplacement de la porte gallo-romaine et construit surtout pour s´opposer aux Rémois, donc tourné vers la ville, au moins autant que vers la campagne. Le 10 juin 1358, les Rémois décident de se donner un conseil militaire. En d´autres termes, ils prennent en charge leur destinées se substituant à l´archevêque-duc et à son pouvoir temporel. Six notables sont élus, un capitaine, grand homme de guerre, est désigné, Gaucher de Châtillon, un homme du cru, grand artisan du siège victorieux. Mandatés par les habitants, les six membres du Conseil et le Capitaine constituent d´un coup la grande force morale qui manquait à la ville . Par lettres patentes du 9 septembre 1358, le futur Charles V dit le Sage - le bien nommé - confirme la nouvelle institution. Dix jours plus tard, la ceinture fortifiée recevait solennellement sa dernière pierre, posée par le maître-maçon Gilles de Givry, entre la porte de Vesle et la rue du Jard.
 
Les Anglais et leurs alliés, les routiers commandés par Robin de l´Escot, s´étaient emparés de la puissante forteresse de Roucy, ainsi que d´une soixantaine de châteaux et de places fortes dont Sissonne, Pont-Arcy, Courlandon, Troissy, Êpernay, Mareuil. Les Rémois reprennent Roucy et nettoient le pays.
 
Rassurés, ils scellent avec les Chalonnais un traité d´alliance et d´assistance mutuelle. En cas de nécessité, on enverra "soixante glaives" à l´allié attaqué. Le même pacte est passé avec les gens de Rethel. A Reims, Gaucher de Châtillon fait murer la porte Saint Nicaise, au droit de l´actuelle butte du même nom, la porte Neuve (1) et la porte Regnier-Buiron(2), en haut des Basses Promenades : il fait faire un nombre considérable d´ouvrages défensifs et d´observation, garnir les tours d´artillerie et barrer les rues de fossés et de chaînes. Il organise les habitants en compagnies commandées par des dizeniers et des connétables.
 
Il fait raser les forteresses susceptibles de servir de têtes de pont ou de points d´appui à l´ennemi et, pour les mêmes raisons, l´abbaye de Saint Thierry, la vieille église Saint-André, à l´emplacement de l´église actuelle, les maisons et villages des environs immédiats. Il fait juger et exécuter les pillards et les espions, manants, bourgeois ou seigneurs, dont un certain Pierre d´Haraucourt, détrousseur d´amis et d´ennemis.
 
Sûr de lui et de son autorité, il fait construire un solide mur entre les courtines du château Porte Mars et la ville, rejetant hors de l´enceinte la forteresse de l´archevêque récalcitrant .
 
Quand, dans les premiers jours de décembre, Edouard III arrive devant Reims, un spectacle impressionnant s´offre à sa vue ; une cité isolée dans une vaste plaine vide, sans arbre, sans clocher, sans maison, ceinte de redoutables défenses reliées par près de sept kilomètres de solide maçonnerie, défendue sur tout son périmètre par des milliers d´habitants-soldats rangés avec discipline derrière leurs chefs, formant une couronne mortelle autour de la Cathédrale Royale.
 
LE SIEGE
 
Entre le 4 et le 20 décembre 1359 - les historiens et les documents ne sont pas d´accord - le dispositif des assiégeants se met en place. Nous dirons que, pendant la première quinzaine de décembre, la région rémoise subit l´investissement de l´ennemi, avec les déprédations, les destructions et les violences qu´impose une armée de siège.
 
Le roi d´Angleterre loge à l´abbaye de Saint-Basle, au-dessus de Verzy, le prince de Galles s´établit à Villedommange, les comtes de Richemont et de Northampton à Saint Thierry, le duc de Lancastre à Brimont et le maréchal d´Angleterre à Bétheny. L´armée remplit les intervalles assurant un encerclement quasiment total, battant la campagne jusqu´à Mézières, Donchery et Mouzon.
 
Les Rémois envoient un messager au régent. Rogier de Bourich franchit les lignes ennemies et parvient à revenir... avec des mots d´encouragement. Le régent n´a rien d´autre à lui offrir. Pour se réchauffer - l´hiver est rude - les Anglais détruisent le château fort de Cormicy, propriété de l´archevêque. Comble de bonheur, ils reçoivent en renfort 3.000 tonneaux de vin dérobés à Attigny par le chef de bande Eustache d´Auberchicourt. Pour se dégourdir, ils s´emparent de Cernay-en-Dormoy (3) et des petites places d´Autry et de Manre (4). Reims reste intraitable et les Anglais n´osent attaquer. Edouard compte sur une trahison des assiégés, solution courante dans la stratégie des sièges, mais Gaucher a fait le nettoyage par le vide. Il n´y a plus d´espion dans la ville. Il les a pendus.
 
L´hiver est rude. Les vivres manquent... aux assiégeants. Au début de l´année 1360, la situation de l´armée anglaise est critique. La défense par la terre brûlée, appliquée méthodiquement par Gaucher, porte ses fruits, si l´on peut dire.
 
Le 11 janvier 1360, Edouard II se décide à lever le siège et au milieu de la nuit, décroche avec toute son armée, en direction de la Bourgogne. Commandés par Jean Grammaire, les Rémois font alors une sortie et s´emparent des bagages de l´ennemi en retraite. Encouragés par cette victoire, toute morale, ils entreprennent d´expulser du pays tous les Anglais qui y tiennent ; garnison. Ils emportent d´assaut le château de Sissonne et la forteresse de Courlandon. Edouard 111, par la Bourgogne, descend la vallée de l´Yonne et vient mettre le siège devant Paris. Le régent réclame l´assistance des grandes villes. Les Rémois volent à son secours, mais les Anglais sont déjà partis. Le 8 mai 1360, par le traité de Brétigny, une nouvelle paix est conclue. Malgré sa résistance, la France, envahie, sinon vaincue, doit abandonner d´importants territoires. Mais le roi Jean est libre.
 
LES CONSEQUENCES POUR LES RÉMOIS
 
"On peut dire que les Rémois sauvèrent alors la France... le royaume était ébranlé et les Anglais devenaient les maîtres, si les Rémois n´avaient fait voir qu´on pouvait suspendre le cours de leurs victoires", déclare l´historien Louis Pierre Anquetil.* C´est bien vrai § Comme on l´a vu, ils participeront aussi à la poursuite et même, plus tard, contribueront, pour une grande part, au paiement de la rançon du roi.
 
Ruinés par les destructions, les travaux et les préparatifs de la défense, les fortifications et les impôts supplémentaires nécessités par les événements, ils mettront de longues années à rembourser leurs dettes.
 
Du siège de 1359, date la naissance d´une compagnie d´archers-francs qui prend le nom d´arbalétriers. Les membres de la compagnie s´exerçaient dans un vaste terrain situé entre la rue Large - rue Buirette -, la rue de la Couture - place d´Erlon - et la rue de Chativesle ; la rue de l´Arquebuse en conserve le souvenir. Les Rémois, dans l´aventure, auront surtout conquis´ leur liberté. De ces événements capitaux naîtra une institution toute nouvelle à Reims, le Conseil de Ville, qui finira par prendre une part prépondérante dans la gestion des affaires jusqu´à l´élection du premier maire, le 26 février 1790.
 
Le régent viendra lui-même à Reims, à la fin de l´année 1361, remercier ses fidèles sujets. A la mort de Jean le Bon, il deviendra Charles V et reviendra à Reims pour se faire sacrer avec sa femme, Isabelle de Bourbon, le 19 mars 1364. Il gouvernera sagement jusqu´à sa mort en 1 380. En la libérant, avec l´aide de Du Guesclin, il entreprendra, avec succès, le redressement de la France.
 
En 1429, Reims, cette fois, ouvrira ses portes et les Rémois, leurs bras, à un autre roi, Charles VII, qui viendra, lui aussi, chercher la consécration à la barbe des Anglais, en compagnie de Jeanne d´Arc, dans la Cathédrale des Sacres.
          
 Bernard FOUQUERAY
 
 (1) Sur l´emplacement actuel de la place Belle Tour.
(2) Au bout de la place d´Erlon.
(3) Canton de ville-sur-Tourbe - arrondissement de sainte-Menehould.
(4) Canton de Monthois - arrondissement de Vouziers - Ardennes.
 
 * Histoire de Reims - 1742
 
Maurice Poinsignon : Histoire générale de la Champagne - Paris 1885
Pierre Desportes : Reims et les Rémois aux XIII ème et XI ème siècles - Paris.
H. Moranville : Le siège de Reims - Paris 1895.
Jean Hubert : Le siège de Reims par les Anglais - Sedan 1846.
F. V. Pergant : Le siège de Reims par les Anglais - Châlons 1848.
Tous ces documents peuvent être consultés à la bibliothèque municipale de Reims.
 
Article paru dans le Journal Municipal de la ville de Reims (VRI)


   


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