MAUREGNY en HAYE et Les Cahiers d'Histoire

Cendres noires et agriculture

 

Les cendres noires et l'agriculture

 

 Dès le début, comme nous l'avons vu, les cendres noires ont été utilisées comme engrais et produites dans ce but. Cela a duré plus d'un siècle dans son usage général, qui fut progressivement concurrencé par l'apparition des nouveaux engrais, en même temps que progressait l'expérience à leur sujet.

L'utilisation des cendres noires comme engrais

L'Avant Coureur de 1760 nous rapporte que «les laboureurs et jardiniers ont fait plusieurs essais de cette terre brûlée et non brûlée pour amender leurs terrains... elle sert à réchauffer les terres et à les préserver des insectes. Elle est aussi très bonne pour les arbres fruitiers et les grains ronds, pour les trèfles, luzernes, sainfoins, etc. Elle change la nature des herbes des prés et les fertilisent».

Ce bref résumé donne déjà les éléments essentiels qu'on retrouvera dans toutes les expériences suivantes. L'Encyclopédie Diderot développe longuement les rapports du sieur Gouge qui, en sa maison de campagne à Cessières, est à l'origine de la découverte de terre-houille en cette région. Elle décrit les modes d'emploi et les résultats. Elle note aussi les plaintes contre les cendres, plaintes qu'elle rejette en indiquant les «attentions à prendre». Les archives de la Société royale d'agriculture de Laon contiennent de nombreux rapports de laboureurs, et les résultats d'une enquête systématique auprès d'eux. Mais Gouge ne s'est pas contenté de contrôler ce qui se faisait spontanément, il a mené de véritables expériences. M. de Melliand, intendant de la généralité de Soissons, autorisa, au compte du Roi la location d'une maison, de 8 arpents de terre labourable et de 2 arpents et demi de pré, au lieu-dit «Ferme de Brunehaut, au pied de la Montagne de LaonI7». Cette expérience dura de 1762 à 1765. Gouge a consigné tous les problèmes de gestion et surtout les résultats des essais comparatifs. Il essaie les différents minerais : houille crue et cendres du «détroit d'Annois», de Beaurains, de Suzy, cendres de mer et houille crue de Mauregny. Il fait ses essais sur différentes plantes avec des dosages différents et des modalités pratiques d'emploi variées. Malgré l'augmentation du rendement sur des terres très pauvres, il n'arrive pas à faire de bénéfices, sans doute à cause du prix excessif qu'il a dû consentir pour ses locations. Il dit que les récoltes sont plus abondantes pour les «bleds», les «épis plus longs, exempts de charbon, le grain plus pezant, la terre purgée de mauvaise herbes» mais surtout «l'usage de cendres est surprenant pour les trèfles, la luzerne, le sainfoin, les prairies». C'est ce dernier usage qui sera développé. Gouge note aussi qu'il «est difficile de tirer le paysan de ses anciens préjugés et usages». Il a un correspondant particulièrement actif, le sieur Dalboy, homme de confiance du seigneur de Mauregny-en-HayeI8.

Dalboy lui transmet les analyses des différentes couches extraites de la cendrière du Mont Héraut, et mène des essais comparatifs dans un champ très proche. L'usage des cendres noires se répand alors : Gouge indique, en 1765, que 11 200 arpents en ont bénéficiél9. Mais les polémiques sur le mode d'emploi des différentes cendres et leurs résultats seront durables : cela résulte sans doute de la variabilité de la composition des différents minerais. Bien d'autres facteurs agissent pour expliquer cette variabilité : les malfaçons (mélange aux cendres de terres stériles, dénoncé dès 1760), extraction ancienne ou récente (l'oxydation des pyrites en sulfate ferreux prend du temps), cendres sèches ou mouillées (facilité d'épandage), cendres lessivées ou non (voir chapitre suivant).

L'utilisation sur les prés est la plus généralement admise, et en particulier sur les prairies artificielles20. Il est probable que l'usage des cendres a joué un rôle dans l'abandon de l'assolement triennal, dans notre région tout au moins. En 1814, on sait que «les cendres noires ont exercé une heureuse influence sur l'agriculture, elles conviennent surtout aux prairies artificielles»21. De même on lie «l'augmentation des bêtes à laine à celle des prairies artificielles» qui sont pratiquées sur des terres normalement en jachères. Or, Girault de Saint-Fargeau indique en 1830 : «la prairie artificielle, inconnue il y a 40 ans, a pris depuis 20 ans un tel accroissement qu'elle forme aujourd'hui un troisième assolement22». Tous les documents synthétiques sur l'économie de l'Aisne, dans la première moitié du XIX e siècle, soulignent le rôle des cendres noires en agriculture. Bon nombre d'entre eux insistent sur le rôle des cendres dans le développement agricole de la Thiérache, des enquêtes de la Société royale d'Agriculture en 1786, aux constatations de Matton en 1860, en passant par Brayer en 1825. Ce dernier note qu'une «partie de l'arrondissement de Rocroy tire cet engrais minéral des cendrières de Mauregny-en-Haye et d'Eppes23». En 1845, on parle de «cendres de Picardie employées comme engrais stimulants24». Elles sont semées de mars à juin «seulement sur les prairies, les trèfles et les luzernes» et l'auteur propose encore de les utiliser sur d'autres végétaux, avec toutefois certaines précautions. Il préconise de préparer des composts en faisant macérer du fumier et de la cendre avec de l'eau, pour accélérer la décomposition du fumier ; on peut aussi y ajouter de la chaux. La période janvier-avril est la période des publicités dans les journaux : en 1844, six cendrières de Festieux, Eppes et Mauregny-en-Haye s'affrontent par leurs tarifs et sur la qualité de leurs produits. Le Comice agricole de Saint-Quentin note, en 185625, que «l'usage des cendres noires augmente considérablement... surtout pour l'amélioration des fumiers». Dans le même bulletin, en 185826, Lefèvre, professeur de chimie au lycée, pose la question : «la cendre estelle un engrais ? En aucune façon» répond-il. Il remarque que les cendres ont donné de moins bons résultats sur les prairies artificielles pendant les dernières années. Et, il étudie avec beaucoup de précision les conditions d'extraction et de préparation des cendres, conditions qui expliquent leur plus ou moins grande efficacité. La qualité d'une cendre dépend en effet à la fois de la quantité de sulfure de fer qu'elle contient au sortir de la mine et de la quantité de soufre qui s'est transformée en sels solubles, sulfates de fer et d'alumine. Il constate que le guano, dont l'usage se généralise à l'époque coûte cher. Il propose enfin d'améliorer les fumiers en accélérant leur décomposition par l'emploi du sulfate de fer.

12. Arch. dép. Aisne, D 3, p. 14.

13. Arch. dép. Aisne, C 944, C 1013, C 1023, D 10, D 17.

14. G. Pluchart et J. Tavola, Les cendrières, 1758-1914, p. 61-63.

15. Arch. nat., pi4 1036.

16. Journal de l'Aisne, 19 et 20 août 1884, 11 septembre 1884.

17. Arch. dép. Aisne, C 41.

18. G. Pluchart et J. Tavola, Les cendrières, op. cit., p. 23-33.

19. Arch. dép. Aisne, D 2, p. 57.

20. Annuaire de l'Aisne, 1813, p. 32.

21. Notice sur l'agriculture de l'Aisne en 1814, bibl. mun. Soissons, fonds Périn, p. 138 et 154.

22. Girault de Saint-Fargeau, Dictionnaire des communes de l'Aisne, 1830.

23. Brayer, Statistique de l'Aisne, p. 255.

24. «Observations sur les cendres de Picardie», Mémoires de la société académique de Saint-Quentin, t. III, 2e série, p. 166.

25. Comice agricole de Saint-Quentin. 1856, p. 90-91 et 194.

26. Comice agricole de Saint-Quentin. 1858, p. 356-364


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Les cahiers d'histoire de Mauregny ont été rédigés par Guy Pluchart et Jacques Tavola
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par Gilbert Delbrayelle

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