Témoignage de Charles Quin

Pendant ce temps, un mobilisé se déplace sur l'arrière des armées. Le Journal de l'Aisne du 27 octobre 1918 publie sous le titre "Neufchâtel et Craonne" la lettre de monsieur Charles Quin, mobilisé, qui raconte sa visite des 13 et 14 octobre dans les pays envahis :

"Berry-au-Bac n'est plus... il faut s'orienter pour retrouver sa direction dans le dédale, le labyrinthe des tranchées. Il y a des cadavres un peu partout. Jusqu'à la rivière La Miette, inutile de vouloir suivre la route 44 ... C'est un bouleversement incroyable de terre, d'abris, de blockhaus sautés.

Corbeny n'est plus qu'un amas de ruines sans nom, débris de pierres, de briques pilées écrasées de deux à trois mètres de hauteur. La gare a disparu. De la propriété Matra1, j'ai reconnu la moitié de la porte d'entrée qui émerge un peu des décombres... chez moi, j'ai peine à me reconnaître. Des batteries boches ont été là... Un chemin de fer, quelques wagons, un sol bouleversé, un restant de générateur... c'est tout. Plus de bâtiments de maison d'outillage. Plus rien...

A la jonction de la route 44 avec celle d'Aizelle à Craonne, les mines ont creusé un formidable entonnoir d'au moins 30 mètres de diamètre... il est onze heures du soir, je file vers Festieux.

De Corbeny à Festieux, sept entonnoirs immenses creusent la route. En tâtonnant, il faut les contourner. Arrivé à hauteur de Sainte Croix, vers minuit, une formidable explosion suivie d'une deuxième à cinq minutes d'intervalle. Ce sont des mines à retardement qui sautent.

Festieux a relativement peu souffert. J'ai compté onze à douze maisons détruites dans la rue principale. Parmi celles-ci, celle de Monsieur Mortureux, incendiée, celle de Edmond Rouen, atteinte en partie seulement. Sur la boucherie Buvry, inscription allemande "Kantine".

Le château de Monsieur le baron de Tretaigne paraît ne pas avoir trop souffert, cependant une partie de l'aile perpendiculaire au bâtiment principal est recouverte de carton bitumé. L'église et le clocher paraissent intacts. A la jonction de la route de Coucy-lès-Eppes, plusieurs mines ont coupé la route, l'explosion a fait beaucoup de torts aux maisons voisines.

Route de Coucy à Veslud nouvel entonnoir, tout le carrefour a sauté.

Veslud est à peu près intact, mais les maisons n'ont plus ni portes, ni fenêtres, quatre ou cinq maisons brûlées dont celle de Monsieur Roussel père. Le pays peut facilement être habité. De là, je file .... toujours à pied, jusqu'à Eppes mon pays natal.

Tout y est à peu près intact, mais par exemple, comme à Veslud d'ailleurs, çà sent le boche. Une grosse mine qui a coupé la route vers Laon, à la sortie du village, a quelque peu atteint les toitures proches, mais le dommage est facilement réparable.

Comme à Veslud et à Festieux, le retour immédiat des habitants est possible... D'Eppes, j'entends le tir de quelques fusants boches destinés à nos saucisses... De la direction de Laon et d'Athies, arrivent des sonneries de clairons et des roulements de tambours. Que ce tintamarre me semble joyeux.

A mon retour en plein jour cette fois je vois Aubigny et sainte croix. Ces deux communes ont beaucoup souffert, mais ne sont pas écrasées comme Corbeny et Craonne. Le Gros Saint-Jean est à peu près détruit. Le petit Saint-Jean l'est entièrement. Partout et toujours des tombes, des trous d'obus des cadavres...".

1 NDLR : l'actuelle maison de retraite