MAUREGNY en HAYE et Les Cahiers d'Histoire

5 Madame De MIREMONT Femme de Lettres et Femme d’Affaires

 

Reprenant les travaux de son grand père Monsieur De PUISIEUX, Monsieur De BUTTET a résumé avec beaucoup de précisions l’aspect « femme de lettre » paru en 1989 dans le Bulletin de la Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie de l’Aisne :


page 84) – « ……… Une femme qui écrivait, pouvait-on lire dans ses cahiers, passait pour un bel esprit. Je ne voulais pas d’un titre qui rapportait plus de ridicule que de gloire. Je méditais un traité de l’éducation et je reconnus la nécessité de commencer par un ouvrage qui exigeait moins de correction pour former le style ». C’est ainsi qu’elle écrivit « Les mémoires de la Marquise de Cremy » écrits par elle-même. Cet ouvrage anonyme, paru à Lyon en 1766 a été réédité à Paris en 1808. Comme dit plus haut, c’est un roman autobiographique anonyme, au premier abord parfaitement ennuyeux malgré l’épisode d’un enlèvement manqué, mais dans lequel sous le nom de la marquise de Crémy, l’auteur s’est peinte elle-même, a peint ses voisins et amis, ses proches, où les noms de personnes et de lieux qui y figurent seuls sont imaginés. C’est aussi un roman à clefs qui eut beaucoup de succés, piqua la curiosité et « mit en combustion toute la province » car les personnages du pays Laonnois y furent bientôt reconnus. C’est, en tout cas, pour l’étude des mentalités si privilégiées de nos jours, un document précieux.

page 86 à 90) – « ……… Elle reprend bientôt le chemin de Paris et fréquente plus encore que par le passé les salons littéraires où elle rencontre gens de lettres et philosophes, le président Dupaty, d’Alembert, Beaumarchais, Mesmer et bien d’autres. Ses cahiers donnaient des détails forts piquants sur ces personnages, on y trouvait aussi, paraît-il, de longues dissertations sur l’amour platonique, et sur les sentiments d’amitié ou d’aversion qu’elle éprouvait vis-à-vis de certains membres de la société Laonnoise ou de sa famille ».

Entre 1779 et 1789 fut publié l’ouvrage principal de Madame De MIREMONT : le « Traité de l’éducation des femmes et cours complet d’Instruction ». C’est un véritable monument en sept volumes d’environs 400 pages chacun, et c’est un ouvrage anonyme. « ……… les hommes nous aiment trop, ou trop peu, pour s’occuper de nous, d’une manière qui nous soit directement utile, écrit-elle, il nous a fallu le courage de braver à la fois la sévère censure de leur sexe, et, le dirai-je, l’envieuse critique du notre ……… ». Un avertissement – en lettres italiques – figure en tête du discours préliminaire. Monsieur De MIREMONT en est l’auteur :
« Une femme sensée est un trésor, je le possède dans la mienne et je n’ai pu me refuser au désir qu’elle possède avec moi de contribuer à faire goûter ce bien précieux aux autres. Ses idées sur les inconvénients de l’éducation actuelle m’ont paru si justes……… que je l’ai engagée à entreprendre ce travail. Ce n’est pas la vanité d’écrire qui la détermina, c’est un motif bien plus rare : sa complaisance pour son mari……… La gloire d’avoir une femme auteur et bel-esprit m’eut sans doute paru si ridicule si je me fusse promis le secret et si l’utilité publique ne méritait pas de prévaloir sur nos préjugés particuliers. On ne me connaîtra donc jamais sous le nom que j’emprunte à cause d’elle, on ne la connaîtra jamais à cause de moi, mais ce traité ne pouvait être fait que par une femme……… Sur quelques objets, j’aime à croire qu’elle a eu besoin de mon expérience, qu’elle s’est fait un plaisir de recourir à mes lumières. Liés par l’hymen, plus étroitement lié par le sentiment, cet ouvrage est celui de deux êtres heureux qui se sont communiqué âme et pensée. Enfant du bonheur, je souhaite qu’il prospère. 
Le baron H.V.L – »

Mais cette déclaration de Monsieur De MIREMONT est suivie d’une note de sa
femme :
« On aurait désiré que le style – de ce qui précède – pût être aussi
correct que la langue l’exige, mais l’auteur n’a cru devoir
sacrifier certaines expressions……… Cependant pour les gens qui ont le
droit d’être sévères ……… on a prié l’imprimeur de les mettre en
lettres italiques……… »

L’avis donné le 15 juin 1778 par le Sieur Lourdet chargé par le garde
des sceaux d’examiner le premier tome avant l’approbation du roi, portait
l’appréciation suivante : « Je crois que dans ce premier volume le lecteur
verra reconnaissance, tracés par une plume vraiment patriotique, les
principes les plus lumineux et les plus solides qui ne peuvent que concourir à la réforme de nos mœurs en présentant un juste aperçu d’une éducation honnête et vertueuse……… »

Un siècle s’est écoulé depuis Fénélon et Madame de Maintenon. Après la mort de Louis XIV, la libération des esprits, avec les écrits des philosophes et le progrès des sciences, avait transformé les mentalités. La pédagogie était devenu l’objet de nombreux ouvrages de réflexion. Mais la routine régnait encore dans le domaine de l’éducation, de l’éducation des filles en particulier. Après Monsieur de Sainte-Marie, P de Crousaz, après l’abbé de Saint Pierre, l’abbé Pluche, après Madame de Beaumont, Jean Jacques Rousseau avait fait paraître l’« Emile » qui semblait devoir révolutionner les méthodes d’éducation en usage. Mais, antiféministe, Rousseau s’était montré fort attardé en ce qui concerne l’éducation des filles. Pour lui, la femme avant tout « faite pour plaire et destinée à être subjuguée », devait tenir une place secondaire dans la société. Son niveau de culture importait peu, il suffisait qu’elle s’adonne – et avec modération – aux arts d’agrément.
A l’opposé de Rousseau, l’ouvrage de Madame De MIREMONT marque un effort pour la promotion de la femme. « les femmes ne sont pas faites pour commander. Les préjugés voudraient les assujettir à obéir. Entre ces deux extrêmes il y a un milieu … …… En vain s’efforcera-t-on de réformer l’éducation des hommes, si l’on ne travail en même temps à créer un plan d’éducation des femmes que l’on semble abandonner ……… »
Madame De MIREMONT n’a pas la prétention de se « parer des idées des autres et de les donner comme neuves », mais tout en se rapprochant du retour à la nature surtout pour les premières années de l’enfance, à l’opposé de Rousseau, elle estime que l’éducation, en particulier celle des filles, doit être adaptée aux réalités de la vie. ……… il faut, souvent malgré soi céder aux temps, aux circonstances et aux usages……… Qui veut les braver tous (comme l’a fait Rousseau) n’obtient rien ……… »
Jusque l’âge de quatre ans, au lieu de confier les petits à des nourrices, c’est aux mères elles-mêmes de les soigner après les avoir nourris de leur lait. Jusqu’à sept au lieu de les confier aveuglément à des gouvernantes c’est aux mères qu’incombent leur première éducation et les débuts de leur instruction. Les filles seront ensuite confiées à des religieuses, mais celles-ci sont souvent fort ignorante, prisonnières du cercle étroit de leurs couvents, et en dehors du monde réel. C’est aux mères que revient le soin d’y remédier. Après quatorze ans, auprès d’elles, les filles s’adonneront à ce qui développe le caractère, le jugement, l’esprit, le goût, etc ……… Pour cela il faut que les mères les y aient préparées dès leur enfance.

Le « Traité de l’Education des femmes », en sept volumes, est malheureusement resté inachevé. Deux autres volumes étaient prêts à le compléter en 1789, et d’autres rédigés pendant l’émigration devaient suivre. Ce n’est pas un ouvrage doctrinal, bien qu’on y constate l’influence des philosophes. On y trouve un « projet de réformation pour les couvents voués à l’éducation des jeunes personnes » et un plan « pour la distribution des heures destinées aux études avec quelque avis sur la manière de les montrer et d’apprendre »……… On y trouve aussi la composition d’une bibliothèque que devraient posséder les couvents de femmes qui généralement en sont totalement dépourvus, et comportant « les bons ouvrages modernes ». Enfin, Madame De MIREMONT – comme Fénélon – demande que les filles ne soient plus tenues dans l’ignorance des questions de fortune, qu’elles soient préparées à la connaissance des affaires, ce qui leur permettra, un jour, de participer à la gestion du patrimoine familial aux côtés de leur mari, problèmes que les pieuses religieuses, retirées du monde, ne sont pas en mesure de connaître.

Le « cours d’instruction », résultat d’un énorme travail de compilation, est un guide indiquant les ouvrages estimés les plus valables, un recueil avec référence aux auteurs, dans lequel Madame De MIREMONT
à la manière moderne du « Reader’s Digest » sous forme de condensés, donne l’essentiel de ceux qu’elle a étudiés en y reproduisant les meilleures pages. Cela permettrait, pensait-elle, aux lectrices d’acquérir un niveau de culture convenable sans avoir à feuilleter les livres de bibliothèques entières. Sans vouloir m’attarder sur le contenu de ces « Cours », il me faut en signaler l’intérêt et en donner un aperçu.

Dans le Tome II – Le chapitre consacré à la physiologie est tiré des œuvres de Winslow, de Petit, de Haller er « l’avis sur la santé » est tiré des ouvrages du docteur Tissot, qui en a approuvé le texte. Une « lettre sur l’entendement humain » s’inspire de Condillac. Le chapitre concernant la philosophie avec Lagrange étudie succinctement les « systèmes » de Lucrèce, Héraclite, Anaxagoras, Aristote, Newton, etc ……… Faisant allusion à certains philosophes (aux encyclopédistes et à Voltaire), elle leur reproche de donner « l’exemple du fanatisme en prêchant la tolérance avec l’intolérance ». Tout en partageant « leurs spéculations » elle estime que « l’idée de la Divinité, loin d’être en fantôme façonné à l’atelier de la tristesse……… de tout temps a offert une consolation aux malheureux ……… Que sert-il de la leur ôter ? ……… »

Dans les Tomes III et IV – se trouve le « Cours de Physique adaptée à la vie courante », est mise à la portée de tout le monde, d’après les expériences de l’abbé Nollet : (entre autres sujets : l’hydrostatique, la lumière, l’électricité, le magnétisme ………) et un « Cours de Chimie appliquée à tous les arts » : l’air, le feu, l’eau, etc ………

Les Tomes V, VI et VII – sont consacrés à l’Histoire. Madame De MIREMONT se défend d’avoir voulu écrire une histoire. Elle a de cette discipline une haute conception, estimant qu’avec la philosophie, « cette âme de l’esprit », c’est « le grand livre du monde où l’homme raisonnable puise des leçons utiles ». Son ambition se borne à « donner des moyens de la connaître, d’y prendre plaisir » en piquant la curiosité de ses lecteurs et en leur épargnant beaucoup de soins, de temps, parce qu’elle extrait pour eux des meilleurs auteurs ce qu’il y avait de plus instructifs » ……… Elle s’est débarrassé des « minuties de la chronologie », de l’inextricable lacis des guerres et des batailles et « autres absurdités de tous les siècles » dont s’encombraient les historiens avant Voltaire. L’Histoire, est présentée par elle principalement sous l’angle des mœurs, des lois, des usages, des arts et des sciences. Chaque période de l’histoire de France s’accompagne d’un tableau de l’Europe » pour la même période, et cela, au point de vue méthode, apparaît assez nouveau. Les auteurs auxquels se réfère Madame De MIREMONT sont : Sainte-Foix, Montesquieu, l’abbé Mably, Hume, Roberston, Hanaut et Velly, Gaillard, Méhégant, Méseray, Brantôme, Commines et bien sûr avant tout Voltaire chez lequel elle a trouvé « cette véritable philosophie qui écarte les inutilités, s’arrête aux évènements principaux, avertit des choses douteuses, fait part de ses réflexions toujours justes et vous entraîne par une magie de style qu’on n’imitera jamais ……… »

Le dernier Tome paru – présente, après le règne de Saint Louis, le tableau de l’Europe de 1273 à 1492 ……… et les dernières lignes de cet ouvrage méritent d’être reportées : « pour voire renaître le calme et la félécité ……… il faut que le temps amène des mœurs plus douces, des goûts plus utiles que celui de la guerre et une politique plus étendue. Les états deviennent toujours plus florissants à mesure que les idées de ceux qui gouvernent s’étendent et se rectifient. Les peuples en sont aussi plus industrieux parce qu’ils sont plus libres et plus heureux. Ce sera parmi nous l’ouvrage des lettres, des sciences et des arts………
Mais avant d’arriver à l’époque de cette grande révolution dans la marche de l’esprit humain, nous sommes encore appelés à parcourir des temps de calamité et quelques règnes orageux de la prospérité de Saint Louis ». Comme il est dit plus haut, l’ouvrage inachevé s’arrête là.
Je ne m’étendrai pas davantage sur le « Traité de l’Education des Femmes et le Cours Complet d’Instruction » dont le mérite avait été reconnu par les contemporains, avait valu à son auteur une subvention de 6000 livres le 21 avril 1786, avait été recommandé par le Journal des savants en 1780 et 1788 et dans les journaux d’Allemagne et d’Autriche.

Il parle aussi du manuscrit « Le rêve du moment » conservé à la bibliothèque de Laon et sur lequel nous reviendrons plus loin.
A noter que la bibliothèque de Laon possède 2 exemplaires des Mémoires de la Marquise de Cremy , et celle de Soissons 1 exemplaire en 7 volumes du Traité de l’Education des Femmes.
A cela nous pouvons ajouter la liste des manuscrits décrits dans l’inventaire des biens de Madame De MIREMONT à sa mort, manuscrit qu’elle lègue à M de SERIGONNE, et dont nous ignorons ce qu’ils sont devenus.

Dans le testament :
6ème) – Je destine sur mes autres fonds placés sur les rentes échues une somme de 1000 livres à l’impression de mémoires philosophiques, tels qu’ils sont écrits de ma main, ayant été revus et corrigés.

9ème) – mes manuscrits historiques et autres

Dans l’inventaire :
page 38) - 2 volumes couvert en papier « verd » de format petit in quarto intitulé Vie de l’Isle ou Mémoires Philosophiques de la Comtesse De MIREMONT écrits par elle dédiés à son amie Madame la Comtesse de SABRAN en France à Rolsen – Principauté de Waldeck – 1798 (il s’agit de Arolsen, capitale de cette principauté)
destinés à l’impression, ces 2 volumes ont été remis à Monsieur VERNIER, éxécuteur testamentaire qui s’en est chargé afin de solliciter du gouvernement la permission de la faire imprimer, suivant les intentions de Madame De MIREMONT consignées en son testament.

Dans le testament de Mer de SERIONNE et l’inventaire de la Délivrance de leg :
1) – Un manuscrit format petit in quarto couvert en papier bleu intitulé : Recueil de Lettres.
2) – Un autre manuscrit recouvert de papier rose intitulé Agathe et Roricon ou Mœurs des Premiers Siècles de l’Ere Chretienne, exemple de piété filiale.
3) – Un manuscrit couvert de papier rouge marbré intitulé Portrait et Pensées détachées avec différents papiers réunis intitulés Abrege Chronologique.
4) - Un manuscrit couvert de papier puce, intitulé Premier Brouillon des Notices sur la Revolution, et la mise au net du même manuscrit , couvert du même papier.
5) - Un manuscrit couvert en papier vert, intitulé Portrait de Deux Amis.
6) – 4 volumes manuscrits reliés carton, intitulés Tableau de l’Europe depuis 1492 jusque 1550 ou Notes sur l’Histoire de France.

L’aspect femme de lettre a été suffisamment développé par ces deux
auteurs Madame De MIREMONT est aussi une femme d’affaires. Conformément aux
préceptes qu’elle enseigne dans son traité., elle s’occupe de la gestion des affaires de famille, ou affaires liées à son rôle de Dame des trois paroisses, mais elle a une activité propre. En 1784 elle achète des actions dans une mine de charbon de Valenciennes, avec l’argent qui vient de la succession de sa mère, et qui lui appartient en propre. L’acte précise que c’est à « ses risques et périls ». Ce qui signifie que son mari n’y participe pas. Cette reconnaissance des affaires sera plus nette à la fin de sa vie à son retour d’émigration, nous y reviendrons.
D’autre part nous avons déjà trouvé et nous trouverons encore de nombreuses traces de son activité : la décoration et l’embellissement du château de Coucy les Eppes, sa participation à la découverte et à l’exploitation de la cendrière du Mont Héraut. Elle intervient aussi dans les affaires des communautés, les dossiers de reconstruction des presbytères et des églises, la plantation des arbres, les procès avec les habitants, pour faire rentrer l’argent qui lui est dû. Par exemple le procès verbal de réception des travaux du clocher de Mauregny en 1760 indique qu’un complément de 18 livres est nécessaires, en plus du budget prévisionnel. Une note manuscrite de Madame De MIREMONT demande que cette somme soit mise entièrement à la charge de la fabrique, donc de l’ensemble des habitants sauf elle. (à noter que le seigneur De MIREMONT a versé 250 livres sur les 608 livres prévues au devis de ces réparations .)
Elle demande et obtient, des réductions de corvées pour les habitants de Coucy, afin qu’ils puissent se consacrer à l’entretien des chemins de leur paroisse. Elle s’intéresse aux techniques pour l’ouverture de la première exploitation en galerie à la mine du Mont Héraut. Enfin nous verrons toute son attitude dans la procédure du divorce et sa liquidation matérielle, le partage des biens.


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Mauregny en Haye 423 hab. par JM Moltchanoff       

Les cahiers d'histoire de Mauregny ont été rédigés par Guy Pluchart et Jacques Tavola
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> Une histoire très détaillée du village de la préhistoire au 19° siècle. 
> Histoire du chanvre à Mauregny 
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par Gilbert Delbrayelle

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