Le Curé GOBERT

LA NEUVILLE-BOSMONT. — On écrit au Journal de l'Aisne : Mardi dernier, 18 avril, s’éteignait à La Neuville-Bosmont, un prêtre quasi octogénaire, M. Gobert, curé de la paroisse pendant quarante huit ans. Né en 1814 à Mauregny-en-Haie, d’une honorable famille agricole, ordonné prêtre en 1841, puis vicaire de Saint-Erme avec le desservice d' Aizelles, de Saint-Thomas et de Ramecourt, de 1841 à 1815, M. Gobert, après ce stage des plus laborieux, arrivait à La Neuville-Bosmont en 1845, et là continuait ses premières armes dans des conditions qui resteront toujours particulièrement fatigantes, absorbantes, parfois même écrasantes, comme en ces premiers desservices. C’est ainsi que successivement, au temps des mauvaises routes, des fondrières dont un se rappelle, on le vit successivement arpenter contre vent et marées, d'arrache-pied, n importe, les chemins de Cuirieux, de 1845 à 1858, d’Autremencourt, de 1861 à 1863, de Saint-Pierremont, de 1864 a 1892. C’était un rude piéton, et il n’avait jamais guère connu d’autres voyages que ceux-là, jamais de voyages d’agrément, et ces voyages pénibles et fréquents, il les faisait souvent, au retour, comme au départ, à cœur jeun, disait on, et à cœur-joie peut-on ajouter. Avec cela, vivant au milieu de populations ouvrières, M. Gobert vivait plus mal encore que l’ouvrier. C’était bien la vie dure que son existence, son régime journalier. De combien de choses on peut se passer, pouvait dire celui qui le voyait de prés Revenant un jour du château de La Neuville puis, de son misérable presbytère, que la commune ne refusait nullement d'aménager, un visiteur disait : «En une heure j’ai vu les deux bouts du monde, l’extrême richesse et l’extrême pauvreté. » Gardé par une bonne sœur, maintenant àgée de 87 ans, la gardant lui-même, M. Gobert vient de mourir sur son chantier, connue le laboureur sur son sillon, comme le soldat au champ d'honneur, debout, en action, travaillant jusqu’à la fin. L’avant-veille encore, le dimanche, il avait voulu officier, mais il faillit tomber à l’autel. Le lendemain, grâce à de bons voisins, il pouvait prendre à loisir ses précautions spirituelles, et l’heure enfin venue, circulant encore dans son jardin, il s’affaissait tout à coup, poussant un grand cri, consternant son entourage, de cette fin subite, tant la mort, â tout âge, reste toujours une surprise. Pourtant, quelques jours auparavant, il témoignait un pressentiment quand, visitant une malade décédée quelques heures après lui, il lui disait plaisamment : « J'irai peut-être plus vite que vous. » Il ne se trompait pas.

Source: Journal de la ville de Saint-Quentin et de l'arrondissement du 22/04/1893